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Le site web du defenseur des enfants


C’est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris la mort, le 4 janvier 2003, de notre ami Stanislas Tomkiewicz. Pédopsychiatre de grande renommée, spécialiste internationalement reconnu de l’autisme, du polyhandicap et des questions liées à l’adolescence, il avait accepté, dès la création de notre Institution, de rejoindre le "Comité consultatif" qui nous prodigue éclairages et conseils.
L’Association "Racines d’enfance" (52 rue du Bac, 75007) avait récemment publié le texte d’une conférence sur les adolescents adoptés qu’il avait tenue récemment. Claire Brisset, Défenseure des Enfants, avait rédigé la préface de ce texte, que l’on peut se procurer auprès du siège de l’association "Racines d’enfances".
Peu de temps avant sa mort, Stanislas Tomkiewicz nous avait accordé l’entretien ci-dessous.

Que pensez-vous des réponses que la société tente actuellement d’apporter au problème de la délinquance des mineurs : création de centres fermés, créations de "sanctions éducatives" pour les plus de 10 ans, possibilité de détention provisoire pour les 13-16 ans ayant commis un délit (et non plus un crime), etc.

Je suis extrêmement inquiet, inquiétude qui se mêle d’indignation et même d’écœurement. Je pense que les réponses données n’apportent rien de neuf, elles ne sont qu’une redite des réponses données depuis le XIXe siècle et qui ont fait la preuve de leur inefficacité. Leur seul but est de satisfaire, d’une manière purement démagogique, une partie importante de l’opinion publique, à qui on jette ces jeunes en pâture pour faire oublier toutes les souffrances qui leur sont infligées par ailleurs : la recherche effrénée du profit, la mondialisation, l’angoisse permanente du chômage, la détérioration du niveau de vie, la fracture sociale, etc.
Ces réponses se caractérisent par une criminalisation totalement injustifiée des comportements juvéniles. L’absence, dans les grands ensembles, de lieux de rencontre destinés aux jeunes (clubs, foyers, etc.) entraîne forcément l’occupation des cages d’escalier et des comportements d’incivilité. Il faudrait doubler le nombre d’éducateurs de rue au lieu de présenter ces jeunes comme des criminels. Car une telle présentation renforce la stigmatisation : n’ayant pas reçu une éducation sécurisante qui leur permettrait de résister à l’opinion publique, ils ne peuvent que s’identifier à l’image que la société leur renvoie. Ce genre de mesures renforce donc les conduites délictueuses, et éventuellement criminelles.

En ce qui concerne les centres fermés, on sait que plus on pratique l’enfermement, et plus il y a de violences institutionnelles. Celles-ci se manifestent par le caïdat, la prévarication, l’homosexualité imposée, les abus sexuels, le racket, etc. Les résultats à long terme ne peuvent être que désastreux ; en fait, on se contente de " bâtir sur du sable ", comme disait l’un de mes amis. L’hypocrisie de notre société est telle qu’on prétend à la fois lutter contre les abus sexuels dont sont victimes de nombreux enfants, et dans le même temps on créé des lieux qui favorisent les abus sexuels ! Avant que n’éclate l’affaire de l’Association " Cheval pour tous ", j’avais lu le livre écrit par le responsable mis en cause et j’avais prédit ce qui est ensuite arrivé. Le désastre est inscrit dans des institutions comme celle-là, dont on nous chante les vertus, mais dans lesquelles les jeunes sont écrasés, humiliés, méprisés ; en fait, ce sont de véritables écoles du crime. Que ceux qui ne sont pas convaincus lisent les livres de Jean Genêt, " Oliver Twist " de Dickens ou encore les écrits du journaliste Alexis Danan.

Par ailleurs, on dépense des milliards pour soigner les personnes âgées ou les personnes atteintes d’un cancer, mais combien d’argent la société dépense-t-elle chaque jour pour les jeunes délinquants ? On dit que la délinquance est un fléau social, mais combien y a-t-il d’éducateurs, de psychologues, de psychiatres pour s’occuper d’eux ? Le " tout répressif " est largement pratiqué aux Etats-Unis ; or, la société américaine est de plus en plus violente. Si la méthode du Maire de New York a permis de réduire la délinquance dans cette ville, c’est parce que des mesures permettant une nette amélioration du niveau de vie ont été prises parallèlement. La théorie du " risque zéro " prônée par nos gouvernants est destinée à masquer la mauvaise foi des adultes et leur ignorance totale de la psychologie des jeunes. Comment un adolescent pauvre pourrait-il ne pas prendre de risques ? M. Chazal, conseiller du Général de Gaulle, disait : "Lorsqu’un jeune casse un vélo, certains pensent au vélo cassé, moi je pense au jeune cassé". Ces paroles sont toujours d’actualité.

Pourquoi ce qui était possible en 1945 ne l’est-il plus maintenant ?

Les chiffres de la délinquance juvénile dans la France libérée était pires que ceux d’aujourd’hui. Mais à l’époque la France était pauvre, affamée, et pourtant pleine d’espoir. Sachant qu’elle se dirigeait vers un monde meilleur, elle pouvait prendre le risque de travailler à longue échéance avec les jeunes afin qu’eux aussi puissent participer au renouveau de la société. Actuellement, notre société est sans illusions, sans autre avenir qu’une aggravation des conditions sociales. N’ayant rien à offrir, on désigne des coupables : les jeunes.

N’y a-t-il pas actuellement un amalgame entre " adolescent en difficulté " et " délinquant ", comme si l’un menait obligatoirement à l’autre ?

C’est exact. La délinquance est une terminologie juridique : est délinquant celui qui a commis un délit. Mais au lieu de rétrécir la notion de délit devant l’aggravation des difficultés rencontrées par les jeunes, celle-ci a été élargie : on considère maintenant comme délit ce qui relevait auparavant de l’éducatif. De ce fait, le nombre de délinquants ne peut que croître, du seul point de vue statistique. C’est ainsi que l’on fait naître la peur. On sait que le vote en faveur de Le Pen n’a que très peu à voir avec l’existence de délinquants dans une commune. De même que certains Polonais sont antisémites sans avoir jamais côtoyé de juifs, de même la société a peur des jeunes ; on passe sous silence les suicides de jeunes, mais on étale les homicides à la une des journaux. Le battage médiatique fait autour de ces cas tragiques aboutit à mettre au pilori l’ensemble de la jeunesse. Au XIXe siècle, il y avait déjà des enfants de quatre ans parricides. Cela veut-il dire qu’il faut mettre sous surveillance tous les enfants de quatre ans ? C’est pourtant ce que la société prépare actuellement.
Certes, un jeune en difficulté peut devenir délinquant, car la délinquance est l’une des stratégies psychologiques possibles, avec la drogue, la prostitution, la tentative de suicide ou la folie, pour ces enfants en difficulté. Cela leur permet de survivre. Un jeune en difficulté doit être aidé ; il faut lui faire confiance, le respecter, et ainsi il a des chances de se sortir de ses difficultés. J’ai trente ans de pratique avec des jeunes délinquants, et je peux vous assurer que les " pervers ", ceux pour lesquels il n’y a aucun espoir, sont vraiment très rares. Tous les autres, une fois pris en main, une fois qu’ils ont trouvé ce que Boris Cyrulnik appelle les " tuteurs de résilience ", s’améliorent.

En France, les tentatives de suicide ont très fortement augmenté chez les jeunes au cours des cinq dernières années. Parallèlement, le nombre de mineurs mis en cause dans des infractions a fortement augmenté. D’après vous, y a-t-il un lien entre les deux
phénomènes ?

Cette question nécessite un vrai travail de recherche pour pouvoir y répondre scientifiquement. Je ne peux que vous donner mon impression. Je pense que l’augmentation de la répression est un excellent thermomètre de la température psychologique et sociale de notre pays. La majorité des jeunes se sentent soient victimes - d’opprobre, d’exclusion, d’injustices - soit ils apparaissent comme des bourreaux. Dans tous les cas, ils se trouvent face à un mur, sans horizon, sans avenir, dans une société fermée et répressive. C’est là une des causes sociologiques de l’augmentatIon du nombre de tentatives de suicide. Je pense que les deux phénomènes sont deux indications du même malaise social. Par ailleurs, sur le plan psychologique, il faut savoir que les plus violents des jeunes sont ceux qui sont ou ont été maltraités chez eux. Ceux qui, sans être battus, ont été peu ou pas aimés du tout, sont aussi désorientés. Le non-amour d’une mère est toxique pour toute la vie d’un enfant. On ne peut en quelques mois panser de telles blessures.

Avez-vous constaté une évolution dans le profil des jeunes délinquants et dans les rapports qu’ils entretiennent avec leurs parents ? Sont-ils plus violents qu’auparavant ?

Non. Ceux d’il y a 20 ans étaient tout aussi déstructurés et violents que ceux d’aujourd’hui. La différence est qu’actuellement, les jeunes délinquants n’ont plus d’image paternelle à laquelle s’identifier, parce que leurs pères sont chômeurs ou craignent de l’être, parce qu’ils sont maltraités par leurs patrons ou par des conditions de vie précaires. Ils sont écrasés par la dureté de la vie, ou alors ils sombrent dans l’alcoolisme et deviennent des tyrans domestiques. Dans tous les cas, ils apparaissent comme démissionnaires, et leurs fils ne peuvent pas s’identifier à eux. Ils vont donc s’identifier au dealer du quartier, au grand cousin qui roule dans une voiture de luxe, etc..
Mais encore faut-il faire une distinction entre les délinquants vrais - comme les dealers, par exemple -, et les petits voleurs à l’arraché. Etre voleurs n’est pourtant pas inscrit dans les gènes de ces enfants. Croyez-vous que si leurs parents vivaient mieux, ils auraient besoin de voler ? Ce dont ils ont besoin, c’est qu’on s’occupe d’eux, qu’on les emmène à l’école, et non qu’on envisage de les reconduire à la frontière.

Vous dites, dans votre livre L’adolescence volée (1), que vous êtes devenu psychiatre d’adolescents pour vous guérir du fait qu’on vous avait volé votre adolescence. Pensez-vous que l’une des façons d’aider les adolescents en difficulté serait de leur permettre - mais de quelle façon ? - d’aider les autres afin de se réparer
eux-mêmes ?

C’est une idée très ancienne et excellente en soi. Malheureusement, en pratique, il n’est pas toujours facile de commencer par là. Les jeunes sont encore trop destructurés, au début de leur prise en charge, pour accepter cette démarche sans préparation, et sans qu’on leur offre quelque chose en contre-partie.
Néanmoins, c’est faisable, par exemple à travers le théâtre. Je connais une pièce de théâtre jouée par des jeunes de banlieue vivant dans un foyer et par des enfants psychotiques. C’est un plaisir de voir le comportement fraternel de ces adolescents "en danger de délinquance" avec des petits autistes. D’autres moyens peuvent être imaginés par les éducateurs, par exemple l’aide aux populations lors de catastrophes écologiques. Je pense que toutes les stratégies qui respectent les jeunes, qui leur font confiance, sont bonnes.

Spécialiste des adolescents difficiles, vous êtes par ailleurs un militant des droits de l’enfant. Pensez-vous que le non-respect des droits de l’enfant crée les conditions de la délinquance ?

Absolument, et c’est pour cela que je fais partie du Comité Consultatif de la Défenseure des Enfants, et que j’ai milité dès les années 70 à DEI (Défense des Enfants International). Toute injustice, tout mépris à l’égard des enfants, tout écrasement de leur jeune personnalité crée d’une part des jeunes totalement soumis, et d’autre part des jeunes révoltés. C’est ceux-là que l’on stigmatise ensuite sous l’appellation de délinquants, criminels, etc. La délinquance est le prix que notre société n’accepte pas de payer pour maintenir la paix sociale, de même que les " nègres marrons " étaient, au XIXe siècle, le prix à payer pour maintenir l’esclavage. Notre société est incohérente. Il suffit de voir avec quel sévérité on traite un jeune qui fait des bêtises dans une cage d’escalier, et avec quelle mansuétude on traite un Maurice Papon qui a, d’un trait de plume, envoyé à la mort des milliers de gens. Il est évident que si on ne respecte pas les droits des enfants, si on les empêche d’être heureux, on en récolte ensuite les conséquences.

Dans votre ouvrage Aimer mal, châtier bien (2), vous dites que " toutes les institutions, mêmes les meilleures, engendrent de la violence ". Qu’entendez-vous par là ?

Une institution n’est pas un mode naturel de vie pour un enfant. Le mode naturel c’est la famille, quelle que soit sa forme. L’enfant élevé en milieu naturel reçoit différents modèles de vie et de morale qui proviennent de sa propre famille, de l’école, des voisins, des associations, des militants syndicaux, etc.. L’enfant se fabrique, à partir de ces éléments, sa propre vision du monde. Tandis que dans une institution, chaque enfant est sommé de laisser tout cela à la porte et de s’adapter à l’ "ethos" , c’est-à-dire à la morale et au type de vie proposé, de l’institution. De plus, l’ethos n’est pas forcément monolithique : il y a la vision du monde du directeur, celle de l’éducateur, celle du psychologue, etc.. et tout cela constitue une cause de désarroi pour un enfant. Cela ne veut pas dire que toutes les institutions sont violentes, mais elles sont toutes susceptibles de l’être. La vigilance et l’éradication de la violence doivent donc être la tâche principale de toute institution ayant en charge des enfants.

Propos recueillis par Anne Terrier

(1) Calmann-Lévy, 1999.
(2) Avec Pascal Vivet. Seuil, 1991





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