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« Punition et soin : confusion nécessaire ? » in : Enfance et Psy, n°2, 1998


LA CONFUSION ENTRE PUNITION ET SOIN : LA JUSTICE SOIGNANTE

Stanislas TOMKIEWICZ, « Punition et soin : confusion nécessaire ? » in : Enfance et Psy, n°2, 1998

La punition qui soigne
Depuis quelques dizaines d’années, l’appareil punitif se donne des objectifs soignants. Pour moi, ce glissement de l’appareil punitif vers les soins, cette prétention de la Justice à soigner les mineurs (et même depuis quelques temps, les adultes !) ne sont pas négatifs mais au contraire un signe positif d’humanisation de notre société. Cependant cette nouvelle compétence pose des problèmes complexes dans ses modalités d’application.
Le premier acte de justice soignante en France est l’ordonnance de 1945. Nous sommes tous issus de cette loi. Il faut d’autant plus la défendre que des voix de plus en plus nombreuses la mettent en cause. Cette loi pose, pour la première fois dans la législation française, le principe de la non proportionnalité de la peine et du délit. Elle remplace cette proportionnalité qui constitue la pierre angulaire des codes français, civil et pénal par un objectif nouveau, qui devient son souci principal : aider les jeunes délinquants à se réinsérer dans la société, à ne plus commettre d’actes répréhensibles, mais aussi à s’épanouir moralement et intellectuellement.
Cette loi est devenue si banale qu’on oublie combien elle est révolutionnaire et que nous devons la défendre. Elle dit que le but de la justice est de défendre les intérêts supérieurs de celui qui est délinquant. C’est là un renversement copernicien des valeurs par rapport aux buts classiques de la Justice, c’est-à-dire la défense de l’ordre public, de la victime et secondairement la prévention des récidives. C’est une loi qui confond la victime et l’agresseur parce qu’elle proclame que la délinquance d’un jeune engage non seulement la responsabilité de l’enfant mais, avant tout, la responsabilité de la société. Elle focalise ainsi l’intérêt de l’appareil judiciaire non (exclusivement) sur l’acte mais sur la personnalité du jeune qui l’a commis. Elle recommande des mesures (et non plus des peines) les plus aptes à assainir cette personnalité. Par là, la Justice devient pédagogique et soignante.
Le recrutement et les pratiques des juges des enfants entretiennent pleinement la confusion : la plupart se considèrent (on le leur reproche souvent) moins comme défenseurs de l’ordre public que comme défenseurs du mineur, même délinquant. Les mauvaises langues disent que l’on ne sait plus si on a affaire à un juge ou à un psychiatre, voire un psychanalyste... Il n’est donc pas étonnant que, dans une société qui sous l’étiquette de la « modernité » cherche fébrilement à retrouver les valeurs du XIXe siècle, on trouve de bonnes âmes pleines de bon sens qui proclament que les juges des enfants sont des rigolos, qu’ils travaillent au ralenti, qu’ils courent après des chimères et qu’il faut leur enlever leurs pouvoirs « démesurés » pour les remplacer par les juges d’instruction avec un retour au principe selon lequel chaque méfait mérite une punition à sa mesure.
Si j’insiste, c’est pour montrer combien la confusion justice/soin, fondamentalement éthique, prête le flanc aux attaques. Mais faut-il défendre inconditionnellement cette confusion ?
L’ ordonnance de 1945 a instauré progressivement une collaboration entre l’institution judiciaire et des professions - nouvelles et anciennes - qui jusqu’alors n’avaient cure des lois et de l’ordre social : psychiatres, psychologues, travailleurs sociaux, thérapeutes de toutes obédiences. Cette collaboration, à ma connaissance, ne fut jamais contractuellement, légalement établie et précisée. Sommes-nous devenus de simples auxiliaires des juges, au même titre que les greffiers ou les policiers (ces derniers en théorie seulement), ou avons-nous nos propres codes de conduite, d’éthique, de déontologie, qui risquent de nous mettre en conflit avec le juge ? En cas de conflit, qui doit le médiatiser ? Quel est le pouvoir fondamentalement dominant ou subordonné, celui du soignant-soignant ou celui du juge-soignant ? Et que faire lorsque le juge « se rappelle » sa fonction punitive et nous propose de (nous oblige à) nous y impliquer ?
Ces questions deviennent plus brûlantes au fur et à mesure que l’ordonnance de 1945 « fait des petits » et pousse la Justice à s’aventurer davantage dans le domaine des soins. Ce sont :
-  la loi sur les alcooliques dangereux ;
-  la loi de 1970 sur les toxicomanes, qui comporte la notion de l’injonction thérapeutique. Elle considère le toxicomane à la fois comme un malade et comme un délinquant ; elle lui offre le « choix » entre aller en prison ou aller voir un psychothérapeute.

Considérer les soins comme une alternative à la punition est une véritable première dans l’histoire de la loi. En même temps, les médecins, les psychologues, les intervenants en toxicomanie, les éducateurs de rue sont explicitement mis à contribution car le juge leur dit : « Soignez-le et racontez-nous comment cela se passe ». Si cela se passe bien, le délinquant pourra continuer à courir les rues de sa banlieue ; si cela se passe mal, on le mettra en prison. Ceci nous affole à juste titre, ne serait-ce que par l’atteinte au secret. Nous avons toujours pensé qu’on peut difficilement soigner quelqu’un et garder sa confiance si on ne lui offre pas le secret. Certes, avec des juges intelligents et compréhensifs, on arrive à s’arranger, mais le problème de fond reste posé.
Pour les toxicomanes, disons-le tout net, la loi de 1970 s’est révélée être plutôt un échec. Il me semble que toute injonction thérapeutique reste contestable ; elle doit être repensée afin que nous soyons assurés qu’elle est faite pour le bien des pharmaco-dépendants. Peut-être faudrait-il chercher d’autres stratégies pour améliorer leur sort ?
Le projet de loi de février 1997 sur les abuseurs sexuels constitue un pas de plus dans cette voie de la confusion : il ne se contente pas de proposer un choix, mais il inclut dans la punition l’obligation des soins psychologiques et même biologiques.
Les soins qui punissent
Mon beau schéma est aussi brouillé de l’autre côté parce que l’appareil soignant s’attribue le droit, voire le devoir, de punition. Des médecins, des infirmiers, des éducateurs pensent qu’ils ont non seulement le droit, mais aussi le devoir de punir. Je donnerai trois exemples de domaines où cette confusion s’impose
La médecine mentale
Ici, la souffrance du patient est accompagnée, voire masquée, par le changement de son comportement qui peut perturber l’ordre public et causer la souffrance d’autrui. Les psychiatres doivent à la fois guérir, soigner le patient, sujet de souffrance, mais aussi supprimer ses troubles de comportement pour garantir l’ordre public. Pendant longtemps, toutes les punitions étaient considérées comme des techniques de soin, et l’asile, même devenu hôpital psychiatrique, unissait ces deux finalités en donnant plutôt la préférence à la sauvegarde de l’ordre : les cages tournantes n’ont disparu qu’à la fin du XIXe siècle, les douches et la camisole étaient encore couramment utilisées dans les années cinquante, quant aux cellules d’isolement elles existent encore.
Or, cette situation, où punition et traitement ne faisaient pratiquement qu’un, a pu être profondément modifiée depuis 1945 avec la « révolution psychiatrique ». Cette humanisation doit beaucoup aux neuroleptiques, mais la pharmacologie seule, sans le changement de regard et d’éthique, sans le mouvement de psychothérapie institutionnelle, sans les critiques cinglantes d’un Michel Foucault et des antipsychiatres italiens et anglais, sans la lutte contre la chronicité et l’hospitalisation, sans, enfin, la formation que l’on offre et que l’on exige désormais des infirmiers psychiatriques, n’aurait jamais pu entraîner la disparition progressive et encore partielle de l’idéologie punitive au sein des soins. Certes la désintrication est encore loin d’être complète et les pratiques archaïques et punitives, bien que moins brutales que naguère, coexistent volontiers avec un discours progressiste. Des îlots, certains vraiment inhumains, persistent encore dans certains départements dits « de défectologie » et avec des patients particulièrement difficiles comme certains autistes ou psychotiques à gros troubles de comportement ayant atteint l’adolescence.

L’éducation des enfants
Dans la prise en charge éducative et cognitive des enfants et des adolescents, la confusion est millénaire et unanimement acceptée. Tout le monde a le droit de gifler, de taper un gamin, de punir un nourrisson : sa mère et son père en particulier, par le simple fait qu’ils sont papa et maman ont le droit et même le devoir de le punir. A condition, depuis une centaine d’années à peine, que les punitions ne mettent pas en danger la vie et l’intégrité physique de l’enfant.
La littérature occidentale, surtout celle du XVIIIe siècle, est remplie de conseils sur la meilleure façon d’infliger les punitions et d’encouragements pour en augmenter la sévérité et l’efficacité. Le deuxième lieu de vie où l’on croit avoir le droit et le devoir de punir les enfants et les jeunes sans recourir à la Justice, sans débat contradictoire, c’est l’école. On ne punit pas seulement les écarts de conduite, même mineurs, censés importuner autrui (les élèves mais surtout les enseignants) mais aussi les défauts d’attention et d’apprentissage. C’est pourtant contraire à la règle commune selon laquelle on ne punit pas ce qui ne peut faire tort qu’à l’auteur de l’acte. C’est illogique, car devant un enfant qui a mal appris sa leçon, on devrait toujours se demander s’il n’a pas pu ou s’il n’a pas voulu ou bien si la leçon était mal enseignée. Que de fois, depuis 4 000 ans, a-t-on puni les élèves pour les fautes qui incombent à l’enseignant !
Depuis des siècles, la punition des enfants est considérée comme absolument nécessaire à leur socialisation. Or, elle ne forme absolument pas des citoyens respectueux des droits et des lois de la cité, mais des sujets dont la vertu suprême est l’obéissance à toute autorité et tous comptes faits à la loi du plus fort. C’est pour cela que personne ne l’a mise en question dans les sociétés autoritaires, archaïques, à évolution très lente, où la transmission des valeurs et des savoir-faire se mariait très bien avec la nécessité de l’obéissance.
C’est pour cela que cette politique de « pas de pédagogie sans punition » est de plus en plus contestée dans les sociétés à évolution technologique très rapide et à prétentions démocratiques toujours plus fortes.
Personne n’a jamais démontré que les punitions chez l’être humain favorisent l’apprentissage intellectuel, comme elles facilitent le dressage des comportements simples chez les animaux. Au contraire. les rares études pédagogiques montrent que, toutes choses égales par ailleurs, ce sont les élèves des écoles démocratiques, inventives, participantes, qui ont les meilleurs résultats scolaires.

Les institutions
Ici aussi la confusion entre soin et punition sévit tous les jours. Il faut dépasser éducation et pédagogie et entreprendre rééducation, redressement, assainissement de la personnalité et des aptitudes cognitives et morales laissées en friche par un passé carentiel ou par un déficit biologique. En allemand, on parle volontiers de pédagogie curative, heil pedagogie ; en anglais, on utilise le terme de behaviour therapy. Comme pour le dressage des animaux, les soins, les punitions et les récompenses sont intimement liés.
« Les punitions sont nécessaires au moins pour maintenir l’ordre et la sécurité dans l’institution », c’est le discours de la plupart des directeurs d’établissement : « Ma responsabilité principale de directeur, dont je dévolue une part à l’éducateur-chef, c’est de maintenir l’ordre ; il ne faut quand même pas les laisser tout faire, il ne faut pas que ce soit eux qui fassent la loi ». Certains prétendus élèves de Lacan1 (1 Lacan, Jacques (1901-1981), psychanalyste et psychiatre français qui plaça le langage au cœur de sa théorie psychanalytique. ) ont ajouté un argument psychanalytique : notre premier devoir de soignants de ces jeunes c’est de leur faire intégrer la « loi ». En pratique, c’est toujours celle du plus fort, c’est l’obéissance à l’autorité.
Bettelheim, dans son institution non punitive, s’était arrogé le droit de gifler et de bousculer les gamins. Il l’argumentait très finement : « Si je ne punis pas, il aura mauvaise conscience, il aura des remords, il deviendra névrosé ; si je le gifle, il va dire que c’est moi le salaud et je prends sur moi le rôle du mauvais objet ; il se sentira mieux, il guérira mieux ».
Alors que le caractère inévitable (sinon toujours utile ou nécessaire) des punitions dans les institutions est accepté par la majorité des professionnels et de l’opinion publique, je me contenterai de poser ici quelques questions :
-  les punitions « à froid » plus ou moins prévues par les règlements intérieurs et énoncées non sans quelque pompe par les responsables supérieurs sont-elles préférables (pour qui ?) aux punitions « à chaud » infligées sur place par un éducateur exaspéré ou atteint dans sa dignité ? L’ humiliation et l’impact nocif à longue échéance n’est-il pas plus fort dans les premières ? - où commencent les punitions « barbares et cruelles » interdites par le Code pénal mais toujours appliquées dans le cadre des soins dans certaines institutions (par exemple faire manger les vomissements, tremper la tête dans le pipi, dérouillage physique ou simplement toute atteinte à l’intégrité du corps : privation temporaire de nourriture, tête rasée à zéro, chambre d’isolement exiguë et obscure) ?
-  les punitions sont-elles nécessaires pour maintenir l’équilibre mental et moral des soignants surmenés, mal formés et en butte aux tracasseries de leur hiérarchie ?
-  pourquoi et comment les soignants anglo-saxons sont en train de renoncer aux « renforcements négatifs », c’est-à-dire à l’application, vêtue d’atours savants, de punitions grossières ou raffinées ? Ont-ils seulement des raisons éthiques ? scientifiques (avec l’offensive du cognitivisme) ? ou pragmatiques (efficacité vite décroissante avec le temps) ?
-  quelles sont les relations obscures entre les punitions physiques (surtout à froid) et la jouissance sexuelle de l’enfant (Freud), du pédagogue-soignant ?
-  autres questions naïves : les punitions sont-elles faites pour le bien de l’enfant, pour le bien de celui qui les inflige, ou pour le bien de l’institution en général ? Sont-elles utiles seulement pour arrêter rapidement les comportements gênants ou pour y mettre fin définitivement ?
Avant d’imaginer une vie institutionnelle consacrée aux soins et/ou à la pédagogie complètement dépourvue de punitions, je proposerai deux pistes de recherches complémentaires et non exclusives
-  une « légaliste » (B. Defrance, Klajman). Elle consiste à introduire dans les institutions la loi républicaine : des règlements discutés tous les ans avec les usagers qui définissent les droits et les devoirs de tous les protagonistes (soignés et soignants), leur respect étant assuré par les instances mixtes avec accusation et défense ;
-  une « psychologique ». L’expérience montre qu’une meilleure formation théorique et pratique des soignants (et pédagogues) permet la création d’institutions ouvertes, discutantes, où le niveau de punition baisse drastiquement en quantité et en qualité.

Le développement de relations positives franches entre adultes et enfants permet l’introduction des « punitions symboliques » qui sauvegardent l’image de soi du contrevenant. J. Korczak en était précurseur avec son Code du pardon. Avec Jo Finder, au CFDJ de Vitry, nous avons montré l’efficacité des « punitions » purement relationnelles : retrait provisoire d’estime ou d’amitié.
Alors que, de plus en plus s’affirme la volonté d’organiser la vie dans des sociétés de droit, il est temps de s’apercevoir combien, dans notre monde ultra-sophistiqué, les punitions au sein des soins et de la pédagogie contredisent, pour une large fraction de la population, ce beau principe. Je ne prétends pas que l’on puisse un jour se passer complètement des punitions, mais je déplore que nous soyons encore si loin du minimum nécessaire. Je veux cependant espérer que le jour n’est pas trop lointain où la relation basée sur le respect mutuel rendra le besoin de punir marginal et exceptionnel.





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